(Compte-rendu pour la Tribune d’AVOCATS.BE)
Pour répondre au débat lancé par le CCBE sur les enjeux des innovations technologiques, AVOCATS.BE avait donné le ton en décidant de se réunir au-dessus des paddocks du Circuit de Spa-Francorchamps pour viser la pole position. Une touche d’Europe, avec l’organisation mise sous les bannières de BarEuregio.eu. Un soupçon de technologie par une retransmission en direct sur Internet… Le Barreau de Verviers agitait avec enthousiasme le drapeau à damier pour lancer la course ! ?
Le sujet revient constamment dans l’actualité, celui de l’innovation apportée par la numérisation – voire la robotisation – et les nouvelles technologies qui touche aussi la Justice, avec ses défis et la défiance que tout cela peut aussi inspirer.

Plus tôt dans la journée, à Bruxelles, le Ministre de la Justice Koen GEENS avait exposé sa vision des « Courts of the Future », mais le Bâtonnier de Verviers, Me Pierre HENRY, en accueillant les participants, le déclarait clairement (en français et en anglais, Euregio oblige) : « Heureusement, notre Justice n’est pas qu’une affaire de tribunal ou de ministre… c’est aussi une affaire d’avocats ! »

Et le pétrole des avocats, pour le Président d’AVOCATS.BE, Me Jean-Pierre BUYLE, c’est l’humain, l’écoute, la stratégie, la confiance, ce sont les plus-values que les clients ne peuvent pas trouver via Google ou ailleurs que chez leur avocat.

Mais l’irruption des nouvelles technologies n’est plus de la science-fiction : c’est déjà une réalité économique en marche, aussi pour la justice. Dans bien des activités économiques, de nouveaux acteurs ont déjà pris le dessus sur les opérateurs traditionnels : Booking est le leader dans l’hôtellerie, sans posséder d’hôtels ; Instagram, pour la photo, est la plus grosse capitalisation boursière mondiale ; Alibaba, le plus grand revendeur mondial, n’a aucun stock ; etc. Le Président du Circuit de Spa-Francorchamps, Monsieur Melchior Wathelet fils, lançait cet avertissement pour encourager immédiatement le secteur du droit à réagir, à ne pas subir, mais à anticiper pour faire de ces changements une opportunité.
L’état des lieux dressé par les éditeurs de logiciels pour le marché belge du droit était aussi frappant. Les efforts des éditeurs, en collaboration avec certains avocats, commencent pour développer l’intelligence artificielle en vue de faciliter le travail des juristes à différents niveaux, mais principalement pour l’analyse de la jurisprudence, comme nous l’a expliqué David FREDRICH (Larcier). Au niveau mondial, cette année, c’est le secteur du droit et les legaltech qui a levé le plus de fonds. En Belgique néanmoins, c’est encore le désert : très peu d’avocats se sont emparés du sujet, moins d’1 % selon Dan KOHN (SECIB). Pourtant, des applications fonctionnent déjà en France et chez nous : indemnisation des retards pour votre avion, divorce, pension alimentaire, bail, mise en contact de tiers financeur de procès, arbitrage, etc. Les clients sont déjà habitués à cette sorte d’interfaces avec leur assureur et leur banquier et seraient demandeurs d’une telle interaction avec leur avocat. Il y a donc un nouveau marché à investir. Et ceux qui y auront le dessus sur leurs concurrents, ce ne sont pas les robots contre les avocats, mais les cabinets d’avocats (ou d’autres intermédiaires concurrents) qui auront su utiliser à bon escient les nouvelles technologies pour fournir un service qui rencontre ces nouvelles demandes et s’attacher ainsi une nouvelle clientèle.

Après cette entrée en matière et les changements qui s’annoncent, la question de la vie privée – autre sujet d’actualité avec l’arrivée en 2018 d’une nouvelle réglementation européenne – devait être abordée car toute cette automatisation ne peut se faire qu’au prix d’un traitement des données à caractère personnel. L’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne, Melchior Watheler Sr, était là pour nous donner les lignes de force de la jurisprudence européenne en la matière (et nous rappeler des souvenirs des bancs d’université).

Monsieur le Bâtonnier Éric BALATE nous a ensuite exposé l’éclosion et le cheminement de ce droit à la vie privée, qui prend une force et une actualité quotidienne et qui fut le fruit du génie humain d’éminents juristes avant-gardistes.

Alors, les nouvelles technologies vont-elles sonner le glas de 47 % des emplois, comme certains le prédisent ? En ferons-nous partie ? Serons-nous les esclaves d’une intelligence artificielle supérieure ? La presse nous l’annonce de plus en plus souvent dans ses gros titres. Mais ce n’est pas la première fois que, dans l’histoire, des prophètes annoncent l’apocalypse. Les tailleurs de pierre pour les horloges calendaires n’ont pas survécu à l’horloge mécanique ; que dire aussi de l’invention de l’imprimerie ou des premières automobiles ? À l’époque, on les condamna, quand on ne les interdit pas, on mit en place des mesures de contrôle qui nous font sourire aujourd’hui… Pourtant, personne ne pleure encore la disparition de ces anciens métiers et nous sommes bien heureux d’avoir ces outils à notre disposition, sans remords particulier. Après avoir mis en évidence ces craintes peu fondées, le Pr Nicolas PETIT a souligné le caractère foncièrement imprévisible des changements que de nouvelles technologies pourront apporter à la société, plus encore quand plusieurs innovations se combinent. Et les inventeurs découvrent parfois autre chose que ce qu’ils cherchaient : Colomb était persuadé qu’il arriverait aux Indes quand il a découvert l’Amérique. Par le passé, des innovations ont condamné certains métiers, fait prospérer d’autres. Plutôt que de céder au catastrophisme ou à l’angélisme, le mieux reste d’être pragmatique. Des tâches vont nous échapper, mais, pour ne pas être remplacé, il faut se replacer et s’adapter. Enfin, pour ce qui concerne la réglementation de ces innovations, les interdire d’emblée n’apparaît pas comme la meilleure position : laisser d’abord se développer la concurrence permettra ensuite de voir les options en présence et seulement alors, il conviendra d’examiner et de choisir ce que l’on veut et ce que l’on ne veut pas.

« Est-ce que les applications de l’intelligence artificielle sont si innovantes que ça ? N’y a‑t-il pas déjà de nouveaux concurrents aux avocats ? Ne faut-il pas se méfier du lobby des éditeurs ? Les robots ne seraient-ils pas plus objectifs que des juges humains ? L’émergence de l’intelligence artificielle, au-delà d’une assistance aux juristes, ne modifiera-t-elle pas le contenu même du droit ? » Ce sont autant de questions passionnantes sur lesquelles le public et les orateurs ont ensuite échangé pour clôturer cette journée.
Pour voir ou revoir toute la conférence et le débat, vous pouvez vous connecter sur https://bareuregio.eu où vous pourrez visionner la vidéo de la retransmission en direct.
2 pensées sur “Journée européenne des avocats à Spa-Francorchamps : l’innovation à 300 km/h ? ?”
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